Montréalais d’origine ou d’adoption, qui n’a jamais vu les cyclistes patienter en file indienne aux feux rouges de la rue Saint-Denis? Étudiants, cadres en costume, retraités ou sportifs se partagent chaque jour les 889 kilomètres de voies cyclables de l’île. Et l’enthousiasme des Montréalais pour le vélo ne date pas d’hier! Quelle plus meilleure occasion que le mythique Tour de l’île ce vendredi pour vous conter cette histoire à deux vitesses?
Certes, les pays nordiques (et les Danois en tête de gondole avec 62% de la population qui se rend chaque jour à l’école ou au travail en vélo) ont la main mise (ou le pied sur la pédale), mais le Québec n’a pas à rougir!
Allez montez, on vous emmène faire un tour de vélo!
Les années 1870s et l’arrivée du vélocipède dans le quotidien des Montréalais
Montréal et le vélo, c’est une histoire qui dure depuis plus de 150 ans. En 1869, soit huit ans seulement après son invention en France, le vélocipède à pédale débarque sur l’île. Le vélocipède, c’est cet engin qui possède une très grande roue avant, et une toute petite arrière. Son nom? Le grand bi. Son intérêt? Parcourir une plus grande distance avec le même coup de pédale.
Le coup de foudre est immédiat! En effet, la même année, les premières courses cyclistes sont organisées dans la ville aux cents clochers. Il est même possible de prendre des cours à l’école de vélocipédie, pour 40 cents à l’heure. Les premières pistes cyclables voient le jour dès 1874 : on s’y promène ou on y fait des courses.
Mais se procurer cet engin à deux roues coûte cher, et il devient donc rapidement un luxe réservé à la bourgeoisie. Dans ses premières années, le vélocipède est donc plus vu comme un objet excentrique qu’un moyen de locomotion.
Pour que ce soit le cas, il faudra attendre les années 1890, et notamment l’invention du pneumatique, et de la bicyclette de sécurité, un modèle entre autres muni d’un système de freinage. Car jusqu’alors, aussi égocentrique soit-il, le vélocipède est également particulièrement dangereux!
Dès lors, le regard de la société sur le vélo change. Il devient un outil de transport qu’il faut réglementer. Chevaux, charrettes, piétons et vélos se partagent désormais les rues de Montréal, non sans hostilité de la part de certains. Afin de limiter le chaos sur la route, les usagers doivent rapidement se plier à certaines exigences.
Ainsi, dès 1898, chaque vélo doit arborer une plaque d’immatriculation, à la manière des autos de nos jours. Celle-ci sera finalement abandonnée en 1930. Leur circulation est rapidement rigoureusement réglementée. De sorte qu’à chaque intersection par exemple, les usagers ne doivent pas dépasser 13 km/h, afin de ne pas aller plus vite qu’un cheval au pas.
Fuis-moi, je te suis…
Mais alors qu’on lui prédit un avenir radieux, la guerre et le rationnement du caoutchouc puis l’invention de la voiture et des transports en commun et notamment celle du tramway relèguent le vélo au second plan durant toute la première moitié du XXe siècle.
En effet, si la voiture ne présente d’abord pas un véritable danger pour le vélo en termes de finance, le tramway électrique sur rail représente une véritable révolution tarifaire. Sans parler de ses avantages techniques: avec le tramway, on se déplace à l’abri des intempéries! Pratique lorsqu’il neige ou qu’il pleut.
En même temps que les transports en commun gagnent du terrain, les voitures font peu à peu de même, jusqu’à devenir l’outil de locomotion principal dans les années 1950/1960.
Le bike boom des années 1970
Pour s’offrir un second souffle, le vélo doit attendre 1970 et un « coup de main » indirect du choc pétrolier de 1973. On préfère se déplacer en vélo que de se ruiner avec l’essence. Le bike boom est également le résultat du travail d’un militantisme intense de différents groupes, tels que le Monde à Bicyclette et Fédération québécoise de cyclotourisme, l’ancêtre de Vélo Québec, même si certains désaccords au sujet de l’utilisation et de la nature du vélo apparaissent. Pour Vélo Québec par exemple, le vélo n’avait pas sa place en ville, mais plutôt à la campagne.
Jusqu’alors vu comme un loisir, le vélo redevient aux yeux de la société un outil de locomotion. Dans les faits, cela se traduit par une explosion des ventes. En 1972 pour la première fois en Amérique du Nord, la vente des vélos est supérieure à celle des autos. Entre 1970 et 1972, ce sont plus de deux millions de vélos qui sont vendus au Canada.
La mobilisation des associations permet petit à petit la reconnaissance du vélo en ville mais surtout la création de pistes cyclables à travers l’île. Ainsi, la première piste réservée aux cyclistes est inaugurée en 1974 le long du canal Lachine. Oui, celle-là même qui permet encore aujourd’hui de relier le marché d’Atwater au Vieux-Port de Montréal et qui s’étend sur plus de 13,5 km.
Une promotion continue du vélo en ville
Au fil des années, le regain de popularité du vélo à Montréal a dépassé le cadre utilitaire, comme en témoigne le Tour de l’île, devenu une véritable institution. Créé en 1985 pour promouvoir les différentes pistes cyclables, le Tour de l’île rassemble chaque année plusieurs milliers d’usagers dans une ambiance festive. Le concept: circuler à travers Montréal dans des rues coupées à la circulation. D’abord local, le Tour de l’île dépasse aujourd’hui les frontières et attire de nombreux touristes.
Arrivés en 2009, rapidement après les premiers vélos en libre-service ailleurs dans le monde, les vélo BIXI ne perdent pas de vitesse. D’abord au nombre de 3 000, ce sont désormais 9 500 BIXI répartis sur près de 800 stations qui sont proposés par la ville de Montréal entre mai et novembre.
Une promotion continue du vélo en ville, comme le démontre la création du Réseau Express Vélo (REV) en 2020, qui traverse la rue Saint-Denis sur 9 km, et qui permet aux étudiants, cadres ou personnes âgées de circuler en toute sécurité.
La révolution vélo: merci la COVID-19?
S’il y en a un à qui semble avoir profité la crise sanitaire, c’est bien la Petite Reine! En effet, il semblerait que la pandémie lui ait donné une nouvelle dimension. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2020, ce ne sont pas moins de 950 000 vélos qui ont été achetés dans la province – contre 600 000 habituellement… Et si on ajoute les achats de matériel (vêtements, accessoires), le secteur du vélo a totalisé cette même année 595 millions de dollars de vente. Un record.
Comment l’expliquer? L’aménagement régulière de nouvelles pistes cyclables favorise l’adoption du vélo au quotidien. Et puis, si on parle de la pandémie seule, l’isolement et l’impossibilité de s’adonner à ses loisirs traditionnels en intérieur pendant de nombreux mois ont sans aucun doute joué un rôle dans l’explosion des activités en plein air.
C’est ce que révélait en tout cas le bilan de la dernière saison, avec une modification des habitudes des cyclistes: en 2021, on a moins fait du vélo pour aller au travail que pour se rendre à l’épicerie ou au parc, pour profiter des bienfaits et des muscles sollicités par le vélo.
Un nouveau souffle auquel le réseau devra pouvoir s’adapter, au risque de connaître une saturation – et un nombre grandissant d’usagers en file indienne aux feux rouges…